LE MONUMENT aux MORTS de COURCELLES-CHAUSSY
par Nicole Muller-Strohéker
L'idée de construire des monuments aux morts dans les villes et villages est née de la Première Guerre mondiale : les listes de morts affichées dans les mairies ne pouvaient plus suffire. Le rappel des morts devait être matérialisé par une statue ou une autre évocation placées au cœur du village. Sur le monument aux morts de Courcelles-Chaussy, 29 noms. La commune comprend alors 1160 habitants. On est toujours impressionné par le nombre de morts par rapport au nombre d'habitants d'une commune, témoin de l'effroyable hécatombe de la guerre 14-18. A l'inverse, certaines communes n'eurent à déplorer aucun mort ni lors de la 1ère guerre ni après. Il est arrivé qu’aucun monument ne soit construit car certaines communes, communistes ou socialistes, par idéologie antimilitariste, le refusèrent.
Construire un monument aux morts était une lourde dépense surtout pour une petite commune. La municipalité faisait un montage financier avec une souscription auprès des habitants plus ligne de crédit spéciale dans le budget municipal et/ou un emprunt auprès d'une banque. On organisait également des manifestations pour recueillir des fonds : à Courcelles-Chaussy, un concert fut organisé deux dimanches de suite, les 17 et 24 avril 1921 dont le profit est destiné à l’édification du monument aux morts. Une pièce de théâtre évoquant Jeanne d’Arc permit également de subventionner une partie du futur monument.
Celui-ci devait être vu de tous. Considéré comme lieu de recueillement et d'apaisement, l'espace dans lequel il était bâti était souvent cerné par des chaînes ou des grilles, marquant ce lieu comme sacré. Le choix de l'emplacement était soigneusement étudié pour ne pas heurter les consciences républicaines ou la foi des familles. A Courcelles-Chaussy, si le monument aux morts officiel est sur la place de Lattre de Tassigny, près du bâtiment autrefois mairie et école de garçon et aujourd’hui bibliothèque municipale, il y a un autre monument dans l'enclos de l'église surmonté de la Vierge.
(À gauche) Sur le monument de Courcelles-Chaussy, on a choisi de représenter une jeune femme. Est-ce une paysanne ? Est-ce Jeanne d'Arc ? (À droite) Sur le côté de la statue, un nom : Charles Perron et une date 1906. Curieux car le monument de Courcelles a été inauguré en 1923. Charles Perron, élève du sculpteur Falguières, déjà primé plusieurs fois au Salon des Artistes à Paris puis à l'exposition universelle, créa effectivement cette statue en 1906 à Paris et il la nomma "La dignité". On la retrouve aujourd’hui à l'angle des avenues de la République et de Verdun à Montrouge ainsi que sur le monument aux morts de Bertrichamps (Meurthe-et-Moselle), peinte et portant une palme dorée au côté.
A Courcelles, sur le piédestal en pierre de Jaumont, une croix de Lorraine et, en dessous, une plaque gravée dans la pierre : « Aux enfants de Courcelles-Chaussy, victimes de la guerre », le tout encadré par des grilles de fer forgé aujourd'hui disparues. Une palme est venue s'ajouter aux décorations. Dans son simple habit, (photo de gauche) elle a le visage fier et le regard vers le lointain. Elle porte une épée au côté mais elle ne la touche pas. Elle tient un rameau d'olivier dans sa main droite. Est-ce Jeanne la Lorraine, Jeanne la bergère, Jeanne qui vient d'être canonisée en 1920 ? La dignité de la Lorraine ?
(Photo ci-dessous) Sur le socle, deux noms gravés dans la pierre : à droite, BOIVIN architecte à Metz et (photo de droite) à gauche, A. BRECK à Courcelles-Chaussy. Adam Breck était tailleur de pierres dans notre commune. Pour l'histoire et le souvenir, il a taillé la base de ce monument sur lequel figure le nom de son fils Léon Breck.
La loi du 24 octobre 1922 instituait la date du 11 novembre comme date commémorative de la victoire et de la paix, rendant obligatoire l'inscription du nom des personnes, militaires ou civiles tuées pendant le conflit avec l'inscription "Morts pour la France". La situation de la Lorraine comme de l'Alsace était particulière. En effet, une bonne partie de ses enfants avait combattu sous l'uniforme allemand. Mais, tout au long du conflit, d'autres Alsaciens-Lorrains avaient effectué leur service militaire de l'autre côté de la frontière et s'étaient battus dans les rangs français. Pour les communes lorraines annexées, la situation était délicate à gérer. C’est pourquoi les épitaphes sont généralement neutres mais aussi plus variées, souvent plus pacifistes comme à Courcelles-Chaussy, Metz ou Morhange où l’on lit " À ses enfants victimes de la guerre " ou "A nos morts" comme à Sarralbe et Merlebach.
Par souci d'égalité, les listes de noms ne précisent pas l'appartenance à l'une ou l'autre des armées. Quel que soit l'uniforme, la mort reste glorieuse.
L’inauguration du monument de Courcelles-Chaussy eut lieu le 28 octobre 1923 en présence du préfet, des représentants du département, du général gouverneur de Metz, des associations d’Anciens Combattants, du conseil municipal, des familles des victimes et de la fanfare. Aujourd’hui, d'autres noms sont venus s'ajouter aux premiers et le monument commémore aujourd'hui tous les disparus des guerres du XXe. Le temps fait son oeuvre et, d'une génération à l'autre, le souvenir se dilue. Ce qui appartenait à l'histoire des familles est devenue pages des livres d'histoire. Le cas particulier des Alsaciens-Lorrains, nos grands-pères et arrière-grands-pères, se diluent peu à peu dans les représentations collectives de la Grande Guerre. En 2011, la loi instituant un hommage aux morts pour la France de toutes les guerres contribue au gommage de l'expérience vécue par ces hommes sous un autre uniforme. Ils sont fils d'une commune et les écoliers chantent la Marseillaise devant leurs noms. Après avoir été relégués dans l'oubli ou presque, on redonne aux soldats alsaciens-lorrains une place dans la mémoire française et dans celles des régions concernées mais aussi dans la mémoire européenne à travers des expositions, des émissions de télévision, la presse, le cinéma et la littérature.