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L'ami Fritz

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Lettre d’un prisonnier allemand adressée à Mme Alice Lallier dont le mari, cultivateur, était décédé des suites de la guerre. Cette lettre nous a été confiée par Monique Lemoy "le petit cœur" évoqué dans ce courrier.

 

1er mai 1949

Chère Madame Lallier,

 

Qu’est-ce que vous allez penser de moi du faut que je n’ai pas donné de nouvelles depuis si longtemps ? Il peut vous apparaître à vous ainsi qu’à tous ceux qui vous sont chers que je vous ai oubliée ou que je suis fâché avec vous. Je puis vous affirmer, chère Madame, très sincèrement, qu’il n’en est rien.

Vous me connaissez bien et vous savez que je suis paresseux pour écrire. Même de chez vous, je n’ai pas beaucoup écrit. C’est pour cela que je vous demande de ne pas m’en vouloir d’avoir été aussi négligent. Il faut me prendre comme je suis.

 

Comment vous portez-vous ? Est-ce que vous êtes toujours en bonne santé ? Que fait mon petit cœur ? Quel dommage que le jour de mon départ je n’ai pas pu lui serrer la main ! Est-ce qu’elle pense encore à moi ou bien est-elle contente que je sois parti parce que je voulais tuer son chat… ? Le vilain Fritz…

 

Quoique je n’étais qu’un prisonnier de guerre, je repense avec grand plaisir au temps que j’ai passé chez vous et surtout à la dernière année. Je ne passe pas un jour chez mes parents sans que je parle de vous parce que vous m’avez rendu la vie aussi belle que possible pour supporter ma vie de prisonnier.

En tout premier lieu, je voudrais remercier votre vénérable papa parce que c’était un homme droit, honnête, taillé dans du bon bois parce qu’il m’a aidé, pendant toutes ces années de travail, à lutter contre le mal du pays par son humour et sa gentillesse. Je tiens aussi à vous remercier, Madame, du fond du cœur. Vous avez été une seconde mère avec tout votre amour et votre bonté. Un grand merci également à l’excellente cuisinière, votre gentille Maman qui avait le don de veiller au bien-être matériel.

Et maintenant, c’est le tour du gentil patron (Marcel Lallier). Est-ce qu’il est devenu sage et travailleur ? Je l’espère. Et que font Louise, Fanny, Flora et Jeannette (les chevaux) ? Ont-elles déjà eu des poulains ? Ce serait bien s’il y avait un nouveau tracteur. Je viendrais comme conducteur de Marcel. Sinon, comment ça va à la ferme Lallier ? Est-ce que Maurice (Auger) passe encore dans l’étable avec autant de vitesse qu’il en perd ses talons ? Comment va Charles (Barbier) ?

 

J’espère que tout est en bon ordre et que tout va bien à la ferme ce qui est aussi le cas pour moi. Je ne suis toujours pas marié. J’attends que ma petite Monique soit grande et alors je me marierai avec mon "petit coeur". Ma petite Monique n’aurait plus besoin d’avoir honte puisque je ne serais plus prisonnier de guerre…

Je vais terminer. Je vous embrasse, madame Lallier, avec toute mon amitié et de tout mon cœur.

 

Fritz Lenkam

Entre 1940 et 1945, la Moselle est redevenue allemande et, sous le joug nazi, des camps de prisonniers sont établis un peu partout en Moselle et en Sarre : au Fort de Queuleu, à Metz, à la caserne Guise à Forbach, au Ban St Jean près de Boulay... Ce dernier étant le pire de tous : 300.000 prisonniers, essentiellement soviétiques, y sont passés, plus de 20.000 y sont morts, dont beaucoup d'Ukrainiens. 

Ces hommes avaient été déportés de l'Est vers la Moselle pour y travailler : "A l'époque, on a besoin de main d'œuvre : il y a énormément de mines de fer et de charbon sur le territoire, d'usines, de fermes. Et pour les nazis, ces prisonniers sont slaves, donc des sous-hommes, corvéables à merci. Tout le système économique et social nazi repose là-dessus", explique Chrystalle Zebdi-Bartz, dans sa thèse sur le sujet.

Or, de nombreux Mosellans ont pu voir et côtoyer ces prisonniers. Ainsi, à Courcelles-Chaussy, il y avait un camp de quelques baraques de planches, en face de l’église, où se regroupaient des prisonniers travaillant essentiellement la journée dans les fermes avoisinantes. Ils venaient des Pays-Bas, d’Ukraine ou de Pologne comme Fritz. Leur situation étaient nettement moins dure que celles des grands camps des alentours comme on peut en juger par la lettre de Fritz. Certains sont restés à Courcelles ou dans les environs après la guerre et ont même fondé une famille.

Sur la photo, en face de l’église, on peut voir des traces rectangulaires, restes des bâtiments du läger.

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